Luke Carson attrapa son sac et sortit de sa chambre. Le couloir du dortoir était désert. La plupart des étudiants faisaient encore la grasse matinée ou étaient partis en week-end retrouver leur famille.
Il descendit les deux étages du grand bâtiment et se retrouva sur le campus de l’université. Un soleil éclatant montait dans un ciel bleu. Une journée idéale pour faire du rafting ou du canoë. Mais quand l’idée avait germé dans la tête de Brian d’organiser une sortie « Halloween », Mandy, Kelly et Melvin avaient tout de suite été emballés, et cela faisait deux semaines qu’ils ne discutaient plus que de ça.
Brian avait entendu parler d’un manoir hanté qui était loué pour les visiteurs intrépides. La location coûtait une fortune, mais Brian avait pris tous les frais à sa charge. Quand on était le fils d’une des plus grosses fortunes de Seattle, rien ne vous était impossible.
Luke traversa tout le gazon. Des étudiants se prélassaient sur les pelouses, lisant ou écoutant de la musique.
Il en reconnut certains et leur fit un vague signe de la main, sans s’arrêter.
Il arriva enfin près de la sortie et aperçut Brian et Melvin sur le parking.
– Salut, dit-il en les rejoignant.
– Mais qu’est-ce qu’elles fabriquent ! On avait dit 10 h 30, grogna Brian.
– Il est 34. Tu abuses, le reprit Luke.
Brian eut un petit sourire.
– Tu sais, on pourrait se barrer tous les trois et les laisser sur place, dit-il.
– Tu déconnes ? s’étonna Melvin.
Brian le regarda. Pauvre Melvin. C’était le geek de leur bande. Vingt ans et toujours pas la moindre fille à son palmarès, désespérément vierge. Si ce n’est que Kelly avait réussi à convaincre l’une de ses meilleures amies de venir avec eux tout le week-end pour cette excursion mystique.
– À ton avis ? Même si les filles ont plein de défauts, elles nous manqueraient, fit Brian qui ajouta : En plus j’ai très envie de voir leur tête, ce soir, quand on appellera les esprits.
Luke sourit à pleines dents. S’il croyait en Dieu, il n’avait jamais cru aux esprits ; cependant, il savait que Kelly n’était pas insensible à ce genre de fariboles. Ça risquait d’être très amusant.
– Vous croyez que j’ai mes chances avec Courtney ? demanda Melvin d’un ton penaud.
La jeune fille était une gothique à mèche bleue, piercing dans le nez et dans la langue. Tous osaient croire qu’un geek était le compagnon idéal pour elle.
– Évidemment. Elle n’aurait pas accepté de venir si elle ne craquait pas pour toi. On est deux couples et vous êtes les deux célibataires, tu vois le topo ? lui rappela Brian.
Melvin retrouva le sourire.
– Bon, mais qu’est-ce qu’elles foutent ? se reprit Brian qui regarda à nouveau sa montre.
– J’appelle Kelly, dit Luke.
*
* *
– Mandy, dépêche-toi. Tu connais Brian, il va encore râler, lui rappela Kelly.
– Ça va, rien ne presse, on a loué cette baraque pour deux jours, répondit Mandy.
Cheerleader et très sportive, elle se tenait devant la glace de la chambre qu’elle partageait avec Kelly et finissait de se maquiller.
On frappa à leur porte. Courtney entra sans attendre et fila les rejoindre dans la salle de bains.
– Tu n’es pas encore prête ?
– C’est bon, je finis, s’agaça Mandy qui s’appliquait à redessiner sa bouche avec un rouge à lèvres purple. Et voilà, il ne me reste plus qu’à faire ma valise.
– Tu plaisantes ! Tu ne l’as pas encore faite ?!
– J’en ai pour deux secondes. Allez-y, je vous retrouve sur le parking.
Un téléphone sonna.
– C’est le mien, fit Kelly qui se mit à l’écart pour répondre. Luke ?
– Oui ? Vous êtes prêtes ?
– Presque, Mandy finit sa valise et on arrive.
Tout d’abord, il y eut un petit rire puis :
– Brian est en train de s’énerver. Dépêchez-vous, ou il va être d’une humeur massacrante.
– Peu importe. On ne monte pas avec lui.
Elle raccrocha et se retourna. Derrière elle, elle aperçut Courtney qui tripotait sa mèche bleue.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Brian s’impatiente, fit Kelly qui se tourna vers Mandy. Tu le connais, c’est toi qui vas le supporter tout le voyage.
– Je gère. Ne vous inquiétez pas. Je sais le calmer, fit-elle en se mirant une dernière fois dans la glace.
– Après tout, on s’en fout, moi non plus je ne monte pas avec lui.
La jeune gothique et le quarterback ne s’appréciaient guère. Deux caractères bien trempés qui, malgré le temps, avaient toujours autant de mal à s’apprivoiser.
Mandy se passa une main dans les cheveux et fut enfin prête. Elle regarda Courtney. Tout son contraire.
– Ne te gêne pas, dis du mal de mon homme, pendant que tu y es.
– Non, mais reconnais que parfois il est insupportable.
– Personne ne t’oblige à venir avec nous.
– Courtney vient parce que c’est ma meilleure amie, avec toi. Il va falloir que vous vous calmiez, ou c’est moi qui reste ici.
Mandy et Courtney se regardèrent et poussèrent un soupir.
– Ok, on fait la paix, répondirent-elles en chœur.
Kelly sourit. Elle était persuadée qu’avec le temps, elles deviendraient inséparables. Elles étaient, autant l’une que l’autre, bourrées de qualités.
– Bon, et si tu t’occupais de ta valise ? la reprit Kelly. Allez !
*
* *
– Ça y est, elles arrivent, fit Luke.
– Pas trop tôt ! ronchonna Brian.
Luke regarda les trois filles remonter vers le parking, mais il n’avait d’yeux que pour Kelly. Moins bimbo que Mandy, mais avec un sourire ravageur, et surtout un caractère qui lui convenait en tout point. Gentille, douce et pleine d’humour.
– Salut. Vous êtes prêts ? demanda Mandy qui tendit son sac de voyage à Brian.
– Fous-toi de ma gueule ! Tu as de la chance que je sois de bonne humeur ce matin.
Elle lui sourit et l’embrassa sur la bouche.
Brian ne put résister à son charme démoniaque. Lui qui se voyait comme le représentant des mâles alpha de ce campus se retrouvait toujours désarmé face à la reine des cheerleaders.
Maudites hormones, se dit-il en savourant néanmoins ce baiser matinal.
– Bon, c’est fini ? On peut partir ? fit Melvin.
Tout en continuant d’embrasser sa belle, Brian leva son majeur vers son ami.
– Laisse-les s’accoupler, ce sont des animaux, se moqua Courtney. Tu es garé où ?
– Juste là.
Courtney n’était pas du genre à fantasmer sur les grosses cylindrées. Mais le Hummer imposant et rutilant parqué à côté de voitures bien plus modestes fit son effet.
– Il est vraiment à toi ?
– Oui, pourquoi ?
– Pour rien.
Courtney s’avança, mais Melvin vit bien qu’elle était sous le charme de sa voiture, et voulut espérer qu’il n’y avait pas que ça.
Il ouvrit le coffre. Courtney et Kelly y déposèrent leur valise avant de monter dans le 4 × 4 où elles retrouvèrent Luke, déjà installé.
*
* *
– Tes parents auraient pu nous prêter le leur, fit Mandy qui, en retrait sur le parking, avait observé la scène.
– Le Hummer, c’est que de la frime ! On sera bien mieux dans celle-là, répondit Brian qui bipa la sienne.
Les feux arrière d’une Dodge Charger noire clignotèrent un instant. Mandy sourit. C’était clair qu’elle avait bien plus de classe. Ils s’y engouffrèrent et Brian se mit derrière le volant.
– Rien oublié ?
Mandy prit soudain un air dépité.
– Mince, je crois que j’ai laissé mon gloss ! Je vais le chercher, dit-elle en faisant mine d’ouvrir la portière.
– Putain, ne me dis pas que… s’emporta Brian.
– Je déconne, tête de lard !
Mandy adorait le taquiner.
Brian poussa un bruyant soupir et mit le contact. Le ronflement du moteur lui fit retrouver le sourire. Il appuya sur l’accélérateur et adora le vrombissement.
Le Hummer de Melvin vint se positionner à leur côté. Assise à l’avant, Courtney avait baissé la vitre.
– Vous nous suivez ou on se retrouve au manoir ?
– Tu crois vraiment qu’on va vous attendre ? ironisa Brian.
Et, accélérant, il bondit en avant sur le parking de l’université et les laissa sur place.
– Hey, fais gaffe, t’es dingue ou quoi ?! ragea Mandy. Le but, c’est d’arriver en un seul morceau.
Brian ralentit, puis s’arrêta à l’intersection du parking et de la Douzième Avenue.
– Mandy, si tu voulais qu’on roule comme un escargot, fallait monter avec eux. J’ai jamais eu un accident depuis que j’ai le permis, et même avant !
La jeune étudiante se détendit, tandis que la Dodge repartait à un rythme plus raisonnable pour s’incruster dans la file de voitures.
Ils longèrent l’avenue, puis bifurquèrent sur James Street et ses enfilades d’immeubles, avant de tourner sur la Septième Avenue et enfin de monter sur l’Interstate 5. Une autoroute surélevée qui traversait Seattle du nord au sud, permettant au passage de découvrir la beauté de la ville entourée par les nombreux lacs et îles qui la protégeaient de l’océan.
– Il n’y a pas à dire, j’adore Seattle, fit Mandy.
– C’est clair, valida Brian, tout aussi fier de sa ville.
Dix minutes plus tard, la Dodge se rabattait sur la file de droite et prenait l’US Highway 2, en direction de l’est et des immenses forêts qui tapissaient les Rocheuses.
Le GPS indiquait près de deux cent trente-huit kilomètres avant leur destination, soit trois heures de route.
Brian alluma la radio. WKFM. Un standard de Foreigner sortit des amplis : « I want to know what love is ».
Question stupide ! La réponse était évidente. Un cul bien gaulé, un ventre plat, de gros seins et un visage d’ange.
Soudain, il entendit klaxonner derrière lui.
Mandy se retourna pour voir le Hummer de Melvin les doubler et quatre doigts d’honneur se lever à l’intérieur de l’habitacle.
Brian eut un rictus de joie virile. Il accéléra et la chasse commença…
– Arrête-toi, je ne vais pas tenir ! gémit Mandy. Je t’en supplie.
Elle souffrait le martyre. Une douleur sourde lui tenaillait le bas-ventre.
– On est presque arrivés, fit Brian.
Mandy serra les dents, mais la douleur était insupportable.
– Arrête-toi. Qu’est-ce que tu attends !
– Tiens, regarde, on y est.
Cela faisait plus de trente kilomètres qu’ils roulaient sur une route bordée de chaque côté par d’immenses sapins, sans aucune habitation en vue. Juste un panneau, cinq kilomètres plus tôt, promettant une station-service.
Mandy ferma les yeux, respira lentement, s’efforçant de juguler la douleur.
Brian actionna son clignotant et quitta la route pour se garer sur le parking du diner, où stationnaient quelques camions.
Mandy bondit hors du véhicule et se rua à l’intérieur du bâtiment. Brian sourit et, sortant de sa voiture, apprécia l’air frais de cette fin de matinée.
Le Hummer de Melvin arriva enfin, et ses quatre occupants retrouvèrent à leur tour l’air pur de la forêt environnante.
– Où est Mandy ? demanda Kelly.
– Elle est aux toilettes, elle n’arrivait plus à se retenir.
Un puissant klaxon retentit. Tout le monde sursauta alors qu’un énorme poids lourd s’avançait sur le parking.
Un véritable mastodonte de la route, dont la carrosserie était enjolivée de filles dénudées et de guitares. Il alla se garer près de deux autres camions du même acabit.
– Totalement ringard ! le dénigra Kelly qui croisa le regard du chauffeur.
Un homme dans la cinquantaine, mal rasé, aux cheveux gras.
– C’est clair ! valida Luke.
Ils entrèrent tous dans le diner.
Plusieurs hommes étaient déjà accoudés à des tables dans la partie destinée à la restauration.
Que des camionneurs, se dit Melvin qui baissa aussitôt le regard quand il croisa celui d’un des hommes.
Gros bras couverts de tatouages, barbe plus ou moins longue, ils portaient tous des tenues paramilitaires dignes des vétérans. Melvin comprit très vite qu’il ne fallait pas les chercher.
Ce genre de camionneurs, qui traversaient tout le pays à bord de leur monstre de métal, ne pouvaient compter que sur eux-mêmes en cas de truck-jacking. Melvin se doutait qu’ils devaient disposer de tout un arsenal dans chacune de leurs cabines.
– Bon, on se prend un truc à déjeuner ici, ou on s’arrête à River Falls ? demanda Brian.
La célèbre petite ville était la prochaine étape de leur périple. Une ville de dimension moyenne qui s’était fait connaître par des crimes sordides perpétrés quelques années plus tôt par des tueurs en série particulièrement pervers.
– On mange ici, et puis on fonce tout droit, déclara Luke.
Il était déjà passé par River Falls et même si la ville était plutôt charmante, il était pressé d’arriver au manoir. Il en avait tellement entendu parler qu’il salivait par avance.
– Je ne suis pas certaine que ce soit très bon, chuchota Kelly en voyant le repas des camionneurs.
– Regardez, ils font aussi des sandwichs, montra Melvin.
Ils s’approchèrent du comptoir, de l’autre côté duquel une femme d’un certain âge vint se placer.
– Bonjour, je peux vous aider ?
La cinquantaine, un chignon à l’ancienne. Un vrai look de mamie-gâteau.
– Oui, vous avez quoi comme sandwich ?
– Poulet ou bœuf, mais nous avons aussi des tartes. Poireaux, oignons, crevettes, et ma spécialité : la tarte River Falls.
Courtney s’avança vers une grande desserte où étaient disposés les différents plats.
– C’est à quoi, la River Falls ?
– À base de petits merdeux comme vous ! beugla un des camionneurs assis derrière.
Tous les autres se mirent à rire de sa bonne blague. Brian se retourna et leur fit un doigt d’honneur.
L’un des chauffeurs perdit son sourire et tenta de se lever, mais un autre le retint par la manche de sa chemise.
– Laisse tomber, lui dit-il alors que, d’un coup, l’atmosphère était devenue glaciale.
Mandy, qui revenait des toilettes, s’approcha de ses amis et d’un ton guilleret demanda :
– On mange ici ?
– Non, on va prendre pour emporter, répondit Kelly qui se retourna vers la patronne. Vous disiez, pour la tarte ?
– C’est un secret maison, mais c’est à base de bacon. Vous voulez goûter ?
– Ça ira, je vous fais confiance. Pour moi, ce sera une petite part.
Elle se retourna vers Luke et lui souffla : « Je vais aux toilettes. »
Elle longea la salle de restauration et, suivant les indications, trouva les toilettes pour femmes. Elle poussa la porte. Deux cabines côte à côte. Personne. Une odeur un peu trop chargée en produit désinfectant, mais c’était mieux que celle de l’urine.
Elle entra dans l’une des deux cabines. Tout était parfaitement propre, et le dévideur de papier était approvisionné.
Elle baissa sa culotte et, restant à demi-assise au-dessus de la lunette, entendit la porte des toilettes s’ouvrir au moment où elle allait faire pipi.
Elle fit ce qu’elle avait à faire et ressortit de la cabine pour aller se laver les mains au lavabo situé en face. Alors qu’elle ouvrait le robinet et jetait un coup d’œil dans le miroir, elle découvrit, derrière elle, l’intérieur de la seconde cabine de toilettes. Un jeune homme au physique imposant, grand sourire aux lèvres, se masturbait comme si de rien n’était.
Un cri de terreur sortit de sa gorge…
*
* *
– J’hésite. Dans celui-là, il y a quoi déjà ? demanda Mandy.
– C’est bon, tu ne vas pas tous les passer en revue ! s’impatienta Courtney.
Pour sa part, la jeune gothique s’était choisi une tarte River Falls, comme Kelly.
Les trois garçons avaient opté pour des sandwichs au poulet.
– Ok. Je vais prendre de la tarte aux oignons.
– Et comme boissons ? demanda la patronne.
– On a tout ce qu’il faut dans les glacières, dit Luke.
– On peut reprendre des bières, proposa Brian.
– Et du coca. Prends une canette, ajouta Melvin.
En parfait geek qu’il était, rien de tel qu’un bon coca bien frais pour savourer son sandwich.
La patronne les sortit du frigo et les posa sur le comptoir.
– Je peux vous poser une question ?
– Oui, bien sûr.
– Vous allez où comme ça ?
– Si on vous le dit, vous allez nous prendre pour des fous, s’amusa Mandy.
– Au manoir du docteur Wagner, déclara Brian avec aplomb.
Le brouhaha des camionneurs s’arrêta d’un bloc, et le visage de la patronne se referma immédiatement.
Luke comprit aussitôt le problème. Les légendes devaient être encore plus vivaces à proximité des lieux maudits. Il réagit sur-le-champ.
– Mais non, il plaisante. Nous allons à River Falls. Ma tante nous a laissé sa maison pour la semaine.
– Oui, il paraît que c’est une ville très jolie, avec de très belles balades à faire, enchaîna Courtney.
Avant que Melvin n’en rajoute, un terrible hurlement retentit.
– C’est Kelly ! s’exclama Luke.
Il se précipita vers les toilettes. L’esprit bouillant, il poussa la porte et découvrit sa petite amie tétanisée dans un coin. Face à elle, un type hébété, la braguette ouverte, le sexe à l’air, qui le dévisagea d’un air ahuri.
– Espèce de pervers !
Luke lui bondit dessus et commença à le rouer de coups.
Tout le monde arriva à la rescousse et Brian dut user de toute sa force pour s’interposer entre Luke et le jeune homme à terre.
– Arrêtez-le ! s’exclama la patronne. Arrêtez-le !
Un des camionneurs entra et s’imposa d’une voix de stentor.
– Laissez ce garçon tranquille !
Luke se calma enfin, et Brian put relâcher son ami. Melvin était resté en retrait, craignant de se prendre un mauvais coup.
– Il a voulu me violer, balbutia Kelly entre deux sanglots.
– Non, il ne vous aurait jamais touchée. Je suis désolée, intervint la patronne qui s’approcha de la jeune fille. C’est mon fils, il est un peu retardé, mais il ne ferait jamais de mal à personne. Je vous en prie, oubliez ça.
– Vous plaisantez ! Je vais appeler la police, s’indigna Luke.
– Ne faites pas ça, je vous en supplie, l’implora la femme. Je vous jure qu’il ne l’aurait pas touchée. C’est un enfant. C’est juste un enfant.
Le choc passé, Kelly se redressa, aidée de Mandy et Courtney. Elle réalisa qu’elle avait eu plus de peur que de mal et que le jeune homme avait paru aussi terrorisé qu’elle quand elle s’était mise à hurler.
– Ça va aller, dit-elle.
– Mademoiselle, je vous en supplie, dites-lui de ne pas appeler la police. Ils vont l’enfermer et il ne tiendra jamais.
Le jeune homme était recroquevillé sur le sol et pleurait à chaudes larmes.
– Larry n’est pas un méchant garçon, confirma le camionneur qui était intervenu. Jamais il ne vous aurait touchée.
Cheveux longs, barbe et gros biceps, il était finalement beaucoup plus inquiétant que le garçon.
– Ok, on s’en va, décida Kelly.
– Il faut porter plainte. Il pourrait s’en prendre à quelqu’un d’autre, intervint Mandy.
– Larry pas méchant. Pas vouloir faire peur. Jamais faire de mal, jamais, dit Larry.
Kelly le regarda et le sentit au bord du désespoir. Peut-être pas méchant. En tout cas, sa place n’était pas en prison, mais plutôt dans un centre de soins.
– Allons-nous-en, dit Luke.
– Partons, approuva Kelly. Je ne porterai pas plainte.
– Je vous offre le repas, prenez tout ce que vous voulez, et toutes les boissons aussi.
Kelly eut un sourire dérisoire et, à la suite de ses camarades, elle sortit du diner.
Des nuages commençaient à voiler le ciel. Le sommet des sapins oscillait sous le vent qui s’était levé. Courtney eut un petit frisson en retournant vers le Hummer.
– Grâce à toi, on aura eu un repas gratuit, se réjouit Brian.
– Ta gueule, c’est vraiment pas drôle ! le reprit Luke.
– Si, il a raison, déclara Kelly qui posa sa main sur le bras de Luke. Il est hors de question que ce petit obsédé nous gâche notre week-end. On oublie ce qu’il vient de se passer, d’accord ?
Tous la regardèrent avec compassion, chacun sachant qu’elle n’était pas près d’oublier cette agression.
Courtney s’approcha de Kelly et lui déposa une bise sur la joue.
– Pourquoi tu fais ça ?
– Pour te dire qu’on t’aime tous, et qu’on est là pour toi.
Kelly sentit l’émotion la saisir et, perdant le masque d’insouciance qu’elle s’était imposé, elle se remit à pleurer.
Luke l’aida à monter dans la voiture et resta à l’arrière du Hummer avec elle, tandis que Mandy et Brian remontaient dans leur Dodge.
– On devrait peut-être s’arrêter au commissariat de River Falls, hésita Courtney qui sentit un petit vent aigre qui la fit frissonner de nouveau.
– Non, laisse tomber. Il est déjà 14 heures. On fonce au manoir, et on oublie, décida Luke.
Melvin hocha la tête et manœuvra de façon à rattraper la voiture de Brian qui les attendait près de la sortie du parking.
– Et merde ! jura Brian alors que les premières gouttes de pluie se mettaient à tomber.
Ils avaient dépassé River Falls depuis une demi-heure et roulaient sur la longue double voie qui s’enfonçait en direction des Rocheuses. Aucune habitation en vue, uniquement la forêt qui les surplombait depuis des kilomètres, et le ciel qui s’était fait de plus en plus menaçant.
– J’espère que la toiture n’est pas trouée, sinon, on rentre tout de suite, déclara Mandy.
– Ne t’inquiète pas. Au pire, on restera au rez-de-chaussée, répondit Brian qui n’avait aucune envie de remettre en cause cette sortie.
– Ouais, on verra.
Mais depuis l’incident du diner, Mandy se demandait si c’était vraiment une bonne idée que ce week-end dans un manoir où des faits atroces auraient été commis un siècle et demi plus tôt.
– À cinquante mètres, tournez à droite, fit la voix du GPS.
Brian ralentit et aperçut soudain une ouverture dans le long défilé de sapins qui bordaient la route. Aucune indication, aucun panneau laissant penser qu’il y ait une quelconque habitation dans les environs. Cependant, il mit son clignotant et s’engagea dans un petit chemin. La voûte des arbres formait un tunnel, certes abrité de la pluie, mais beaucoup plus sombre que la route qu’ils venaient de quitter.
– Très accueillant, ironisa Mandy.
– Le manoir a une réputation à tenir, plaisanta Brian qui, voyant la mine contrariée de sa petite amie, s’en inquiéta enfin : Ça va ?
– Oui, je suis un peu fatiguée, et je n’arrête pas de penser à Kelly.
– N’y pense plus. Au final, plus de peur que de mal, la rassura-t-il. En plus, c’est Halloween. On va passer un super week-end, avec plein de zombies et de fantômes. Franchement, on va se régaler.
Mandy eut un petit sourire. Oui, pourquoi ne pas faire comme si de rien n’était ?
– Ce sera le cas, si je vois un loup-garou, dit Mandy. Genre Taylor Lautner !
Heureux de la voir retrouver un semblant de sourire, Brian ajouta alors d’un ton vicelard :
– Ou encore mieux, Vampirella !
La fameuse vampire en cuir et latex qui faisait rêver bon nombre d’ados.
– Tu es bête !
– Je sais, si tu voulais un intello, fallait monter dans l’autre voiture. Luke te tend les bras !
Et comme si les cieux l’entendaient, la musique en sourdine joua « You and the Night » de Saga. Son morceau préféré.
– Monte le son, s’il te plaît, Brian.
Ce dernier s’exécuta et la douce mélodie emplit l’habitacle alors qu’ils remontaient le petit chemin de terre perdu dans la forêt de plus en plus dense.
*
* *
– Il s’est planté. Ça fait dix minutes qu’on roule, et toujours rien, ronchonna Melvin.
– On ne devrait pas tarder à arriver, le rassura Luke.
Ils suivaient les traces de la Dodge de Brian, mais avaient laissé un peu d’écart se creuser entre eux. La pluie ayant rendu le chemin boueux, ils craignaient des éclaboussures sur le pare-brise du Hummer.
– Moi, j’adore ! On est vraiment dans le trou du cul du monde, se réjouit Courtney.
Elle ne pouvait rêver mieux. Un temps exécrable, une forêt angoissante, et une maison totalement perdue !
– C’est clair, si on ne trouve pas de fantôme ici, c’est qu’ils n’existent pas, s’en amusa Melvin.
Intérieurement, il commençait à ressentir un certain malaise, mais il ne voulait surtout pas le montrer en présence de Courtney. Tout le monde savait que les filles se réfugiaient toujours dans les bras des garçons quand elles avaient peur… si ce n’est que Courtney était loin d’être effrayée !
– Des fantômes ? Vous croyez vraiment qu’on va entrer en contact avec des esprits ? se moqua Luke.
– C’est le but ! Pourquoi ? Tu n’y crois pas ? s’étonna Courtney.
– Bien sûr que non. Les esprits, ça n’existe pas, si ce n’est dans les mauvais films d’horreur !
– Tu ne devrais pas dire ça, le modéra Melvin. Il y a des millions de témoignages sur internet. Tu crois que tout le monde les inventerait ?
– Internet comme source d’informations ?!
– Depuis l’aube des temps, on parle d’esprits et de fantômes, intervint Kelly en sortant d’une certaine léthargie.
Ils avaient tous essayé d’être agréables avec elle, mais elle ne pouvait s’empêcher de revoir ce Larry se masturber devant elle. Et si les garçons n’étaient pas arrivés à temps, que lui aurait-il fait ?
– Sérieux, les filles, vous n’y croyez pas vraiment ? dit Luke.
– Moi, j’y crois ! intervint Melvin.
– C’est bien ce que je disais !
– Ça veut dire quoi, ça ?! se fâcha Kelly. Tu te crois supérieur ?
– Ben, comment dire…
Assise à ses côtés, elle lui attrapa une oreille qu’elle tira très fort.
– Ok, j’avoue, vous avez raison. Les fantômes existent, et Dracula, et la famille Addams aussi ! Aïe, lâche-moi !
Kelly lui lâcha enfin l’oreille.
– Je préfère ça, dit-elle en ayant retrouvé le sourire.
– Tu m’as fait super mal ! Je ne sens plus mon oreille.
Courtney se retourna depuis son siège avant et glissa à Kelly un volontaire :
– Girl power !
Concentré sur sa conduite, Melvin ajouta :
– De toute façon, on sera très vite fixés sur l’existence des fantômes.
– Mais bien sûr. D’ailleurs le fantôme du docteur Wagner va nous rendre visite ! ironisa Luke.
– Attention ! hurla Courtney.
Un sanglier bondit sur le chemin de terre. Melvin freina et donna un coup de volant, pour s’arrêter à moins d’un mètre de l’animal.
– Qu’est-ce qui se passe ? pesta Luke qui s’était cogné au siège avant.
Mais il aperçut le sanglier avant que quelqu’un lui réponde :
– Putain, mais d’où il sort ?
L’animal resta planté en plein milieu de la route et les regarda fixement.
– C’est bizarre, pourquoi il ne s’en va pas ? s’étonna Melvin.
– Il est énorme ! s’étouffa Kelly, autant fascinée que dégoûtée.
La voiture de Brian s’était arrêtée un peu plus loin.
Le téléphone de Luke sonna. Il décrocha.
– C’est quoi, ce monstre ? s’inquiéta Brian à l’autre bout du mobile.
La communication était hachée à cause du faible niveau du réseau.
– Un sanglier. Il a surgi juste devant nous, mais on n’a rien.
– Ok, mais pourquoi il ne bouge pas ?
– Je ne sais pas. Il nous observe.
Soudain, un puissant coup de klaxon jaillit du Hummer et fit sursauter tout le monde, hormis le sanglier qui ne réagit pas.
– Tu pourrais prévenir ! lui reprocha Courtney.
– Klaxonne encore, demanda Luke, stupéfait par l’attitude de la bête.
Melvin appuya plusieurs fois sur le klaxon et enfin l’animal daigna reprendre sa marche et disparaître lentement dans les fourrés.
– Trop bizarre, fit Luke qui réalisa qu’il était en sueur.
– Tu l’as dit. Il n’avait jamais dû voir de voiture avant la nôtre, valida Melvin.
– Bon, on peut repartir, maintenant ? s’impatienta Courtney.
Melvin repassa la première et se remit à suivre la Dodge de Brian.
*
* *
– On a dû rater un panneau, critiqua Mandy quelques minutes plus tard.
Le ciel était de plus en plus noir, et la pluie tombait de plus en plus dru.
Quant au chemin de terre, il devenait difficilement praticable. Brian n’arrêtait pas de marmonner dans sa barbe et commençait à regretter sérieusement cette escapade. Il n’osait imaginer l’état de la carrosserie de sa voiture, avec toute cette boue qui giclait de tous les côtés. Mais, tant bien que mal, il continuait de rouler.
Il négocia un dernier tournant, et soudain ce fut la révélation.
– Tu disais ? s’exclama-t-il.
– Wouah ! C’est immense ! s’extasia Mandy.
Un manoir de deux étages se dressait devant eux, en plein milieu d’une vaste pelouse particulièrement bien entretenue. Autour, la forêt formait comme un cercle protecteur.
Derrière l’une des fenêtres du rez-de-chaussée, il y avait de la lumière.
Apparemment, aucune voiture, ni moto ou autre moyen de locomotion à proximité.
Brian fut heureux de retrouver un chemin pavé qui, malgré les soubresauts, était préférable à la route boueuse qu’ils venaient de quitter.
Il avança entre deux parterres de gazon, contourna une majestueuse fontaine qui trônait devant la façade principale et se dirigea vers un porche situé sur le côté pour enfin se garer.
– Nous voilà arrivés, dit Brian en coupant le contact.
Ils sortirent tous de la voiture au moment où le Hummer de Melvin se garait près d’eux.
– Regardez, dit Mandy en tendant la main vers le ciel.
Une légère trouée de ciel bleu se dessinait entre les nuages, tandis que la pluie baissait enfin d’intensité.
– Si ce n’est pas un bon présage ça, se félicita Luke.
Il prit Kelly par la hanche et lui déposa un doux baiser sur les lèvres en la plaquant contre la portière.
– Poussez-vous, fit Courtney qui sortait du Hummer.
– Tu pourrais faire attention ! lui reprocha Luke.
– C’est bon, vous avez toute la journée pour vous bécoter.
– Laisse tomber, elle est jalouse, dit Kelly.
Courtney en resta sans voix, alors que Melvin sortait à son tour du Hummer.
– De quoi vous parliez ?
– De rien, aide-moi plutôt à sortir les bagages, dit Courtney en contournant la voiture.
– Ta copine, elle craint trop, chuchota Luke à Kelly.
– J’entends tout !
Tout le monde sourit tout en s’affairant à ouvrir les coffres pour en sortir les bagages, les provisions et les glacières.
Largement de quoi tenir un week-end sans avoir à sortir de la propriété. Brian referma le coffre de sa Dodge, puis il fit le tour du véhicule pour constater les dégâts. Il en aurait pleuré. Tout le carénage était souillé par de larges éclaboussures de boue.
– Ne t’en fais pas. Elle sera comme neuve après un bon lavage, le consola Mandy.
Elle connaissait l’attention que son mec portait à sa voiture.
– J’espère.
– C’est rien, c’est que de la boue, confirma Melvin.
– C’est surtout qu’une voiture, ajouta Courtney d’un ton piquant.
– Ce n’est pas une voiture, c’est Jelly Roll ! s’indigna Brian.
Ils éclatèrent tous de rire. Plus personne ne baptisait sa voiture d’un petit nom affectueux.
Brian soupira devant tant d’incompréhension et, s’emparant du plus gros sac de courses d’une main et de sa valise de l’autre, il se dirigea vers la porte d’entrée, sous une petite bruine.